Le goût des autres – devoir 153 –


Chez Lakévio la consigne est là

Un étrange parfum

Ce matin-là, elle avait décidé d’aller sur le terrain visiter  une construction ancienne « à retaper » qu’un ami agent immobilier lui avait indiquée. Elle, la restauration de vieux machins c’était son truc, son job. Le coin lui sembla familier ; quelques images floues sortirent de sa mémoire. Elle ferma les yeux pour laisser ses souvenirs l’envahir ; la magie fit le reste.

Flash bac

Elle a quatre ans, elle revoit cette grande maison cossue, presque carrée, un toit à quatre pentes et ses fenêtres rondes en œil de bœuf. Elle revoit les volets de bois peints en vert jade et la porte d’entrée aux montants en chêne vernis. Elle revoit le rosier grimpant croulant sous les abondantes inflorescences qui dispensent un parfum puissant, subtil mélange entêtant de rose de Damas et de pointe citronnée, le long de la barrière le lilas sauvage dont les épis mauves se délitent au gré du vent…

Derrière ses paupières closes une petite fille court en riant aux éclats, sans chaussures ni chaussettes dans la pelouse dont les brins d’herbe lui gratouillent et lui chatouillent la plante de ses pieds nus. Elle se dirige vers la silhouette accroupie près du mur en pisé derrière la maison. Un chapeau de paille sur la tête, il « grabote » son potager avec tant de soin. Elle se souvient de son « parrain » qui explique si bien les secrets de la nature.

Les larmes lui vinrent aux yeux. Pourtant elle n’était pas d’une nature nostalgique. Le passé ne l’intéressait pas. De passé, elle en a si peu. Abandonnée à la naissance, elle avait grandi d’abord dans les pouponnières de la DASS. Elle était un dossier sur lequel un tampon rouge s’étalait en gras « non adoptable ». Les rouages administratifs, elle ne les connaissait pas. Tout ce qu’elle savait c’est que pour elle, foyers et famille d’accueil s’étaient succédé. Ses paupières se referment ; Julie. Elle s’appelle Julie, ce prénom, une carte dans le couffin l’indiquait. C’était une gamine adorable, le genre auquel on s’attachait facilement si bien qu’on la changeait de famille de temps en temps de peur que l’affection que les accueillants lui portait ne soit nocive. Intelligente et douée, elle comprit très tôt que c’est en travaillant à l’école qu’elle arriverait à être quelqu’un. Puisqu’elle n’avait pas d’identité, elle devait se la forger.

Julie ne reconnut que les quatre murs tagués, des ados avaient laissé leurs marques de passage ou encore des jeunes amoureux des cœurs avec l’inscription « A jamais ».  Le parquet la fit sourire, sale, elle imaginait « les raboteurs de parquet de Gustave Caillebotte ». Les fenêtres avaient été aveuglée, bouchées comme pour dire « je suis morte » ! Et pourtant

Dans cette maison, une demi-douzaine de gamins orphelins ou pensionnaires vivaient là, souvent de passage. Il y avait plein de vie ici, des cris joyeux résonnaient dans la grande salle. Elle était restée un an ou deux, elle ne sait plus ; puis… Son destin était ailleurs. Julie respira à plein poumons… Un étrange parfum flottait dans les couloirs de cette bâtisse à l’abandon. Du moins c’est ce qu’elle crut. Dès qu’elle eut mis les pieds dans l’entrée, une sensation oppressante la saisit. Ce parfum elle l’identifia sans hésitation ; un mélange de chocolat, d’eau de javel, de crésyl et aussi oui, mais oui de lilas. Unique… et si c’était à vendre et bien pourquoi pas !

17 réflexions sur “Le goût des autres – devoir 153 –

  1. Ce n’est pas « Chez Lakevio » qui a un blog mais n’écrit plus et ne donne plus de devoirs depuis environ trois ans.
    C’est « Chez Le-Goût-des-Autres ».
    A part ça, Julie qui n’est pas nostalgique s’apprête néanmoins à racheter la maison où elle fut un moment heureuse…
    Et c’est bien dit.

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  2. Un joli récit qui nous fait parcourir toute une vie en quelques phrases, qui transcrit les émotions de l’héroïne. Une vie qui repasse par là et qui, pourquoi pas, viendrait s’installer où de l’essentiel s’est probablement vécu au cœur même de temps difficiles. Une revanche sur la vie en quelque sorte ?
    Merci pour cette belle histoire espérance.

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  3. Je trouve l’histoire triste elle aussi. Pourquoi non adoptable ? pourquoi changer un enfant de famille lorsqu’un équilibre s’y crée ? pourquoi ajouter au malheur, de la souffrance supplémentaire ? moi aussi j’ai eu envie de pleurer en lisant ton texte.

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    1. On ne sait pourquoi il y a des enfants non adoptables ! Jai autour de moi des enfants comme cela mais faut surtout pas que les enfants s’attachent à leur mère d’accueil. Cela va à l’encontre du bonheur des enfants un cordon doit être maintenu avec la famille biologique. Moi je ne comprends rien à cette façon de raisonner. Les services sociaux sont parfois fous ! Avec le sourire

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  4. Tu as laissé un mot chez la Bourlingueuse, mais je n’ai pu venir chez toi que par le biais du Goût…
    Ton histoire est bouleversante et le terme non adoptable est pour moi une énigme.
    Bravo, je reviendrai

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